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La Sociologie

Written By Webmaster on lundi 18 mars 2013 | 07:15

Prise de vue

La sociologie n'a pas de date de naissance ou de père fondateur unanimement reconnus. Pour certains, son histoire commence avec Hérodote ou Machiavel. Pour ma part, je préfère la faire débuter avec Auguste Comte, en grande partie du fait que son Système de politique positive ou traité de sociologie est paru en 1839, année où Daguerre a le premier découvert comment fixer une image photographique (autre manière de décrire la société).

La sociologie a toujours été indisciplinée, occupée à d'interminables controverses conceptuelles. Mais les nombreux monuments théoriques et empiriques érigés à la gloire de son utilité n'existent que dans la mesure où, bien que les sociologues soient souvent en désaccord, leurs divergences sont moindres que leurs vastes domaines de convergence.

Le point d'accord essentiel en sociologie est le suivant : les gens vivent partout et toujours en groupes. Cet axiome distingue la sociologie des disciplines qui considèrent ce point de vue comme allant de soi, ou qui l'ignorent. Plusieurs choses en découlent.

Parce que les gens vivent en groupes, ils font ce qu'ils font ensemble. Faire une enquête sociologique sur quelque chose implique de chercher tous ceux qui en sont partie prenante et toutes les manières dont ils sont en relation les uns avec autres. Nous enquêtons sur l'être ensemble de leur action collective. Cette attention portée au fait que les choses se font ensemble distingue le point de vue sociologique d'autres points de vue.

Certaines manières de faire les choses ensemble ne sont pas à proprement parler « sociales ». Les gens engagés dans certaines interactions peuvent ne pas partager de normes sociales, et même ne pas être conscients de leur existence réciproque. Mais ils sont néanmoins affectés par les actions des uns et des autres et ils y répondent. La démographie étudie les populations : les âges relatifs des membres d'un groupe, la proportion homme-femme, les flux d'immigration et d'émigration, toutes choses qui influencent la manière dont les choses se font, bien que les gens impliqués ne communiquent jamais les uns avec les autres. L'économie, et particulièrement les études sur l'économie mondiale, décrivent à quel point des gens qui ne partagent aucune norme et ne communiquent pas les uns avec les autres sont fortement affectés par leurs activités respectives.

Mais le domaine le plus étendu du travail sociologique porte sur ces activités humaines que les gens mènent collectivement, par le biais de la communication. Les gens qui se parlent en viennent finalement à partager des manières de penser sur ce qu'ils font ensemble, et bien qu'ils soient souvent en désaccord sur beaucoup de choses, ils s'accordent néanmoins sur certaines autres, beaucoup plus générales, tout comme les sociologues, qui peuvent ne pas être d'accord sur la manière de faire de la recherche, tout en s'accordant sur le fait que l'on doit en faire, et qu'elle doit avoir pour but de découvrir quelque chose de plus général que les singularités d'une situation. Le sociologue ne cherchera pas simplement le nom et les coordonnées de quelqu'un qui peut avoir commis un crime, et les détails de ce crime supposé, mais le modèle sous-jacent aux nombreuses activités par lesquelles des gens agissent en commun en vue de créer la catégorie de criminel et de l'appliquer à certaines personnes. Ce ne sont pas les détails particuliers de la manière dont votre famille ou la mienne vivent qui l'intéresseront, mais le modèle de vie familiale qui caractérise une société, que ses membres admettent comme « correct ».

La manière de penser ces modèles est ce qui divise les sociologues. Certains veulent comprendre les modèles d'interaction sociale observés comme le produit de l'existence d'une culture ou d'une conscience collective. D'autres préfèrent parler d'organisation sociale, incarnée par des classes, des groupes ethniques ou raciaux, des professions, des communautés locales, des champs, ou des mondes. Dans tous les cas de figure, ils décrivent comment les gens réagissent au fait que l'activité des autres ait des effets sur eux et les adaptations auxquelles chacun se plie devant ce qui est indéniable et facilement observable : qu'ils coexistent avec et par d'autres.

Les deux possibilités – des descriptions très précises de situations uniques et des généralisations abstraites à propos de catégories d'événements théoriquement construites – définissent les pôles, les extrêmes, de ce que font les sociologues. Certains sociologues expliquent des phénomènes particuliers : les causes de la Révolution française, la culture d'un groupe professionnel ou d'une communauté ethnique, les caractéristiques spécifiques d'une œuvre d'art. D'autres pensent que le travail scientifique nous impose de découvrir des lois universellement applicables, comme les prétendues « lois de la physique » : des énoncés sur les régularités observées dans la vie sociale qui restent vraies pour toute situation identique, partout, et toujours.

Nous reconnaîtrons volontiers pour notre part qu'il s'agit là de deux desseins admirables, et que nombre de grands acteurs de la sociologie les ont partagés, mais qu'en définitive ce que nous accomplissons tous se situe à mi-chemin, quelque chose d'un peu moins que l'un et d'un peu plus que l'autre : des énoncés qui restent vrais provisoirement, pour une catégorie de phénomènes, dans des conditions que nous ne pouvons pas pleinement préciser.

Cela peut paraître malheureux, mais c'est exactement le caractère provisoire du savoir sociologique qui le définit comme une vraie science. Parce que tout savoir scientifique est provisoire. Nos découvertes et nos lois dépendent toutes de conditions qui peuvent nous paraître universelles, mais dont des recherches postérieures montreront inévitablement qu'elles ne sont vraies que pour les endroits que nous connaissons, et non pour ceux que nous devons encore découvrir. Prendre en compte ces possibles au moment où ils surviennent est ce qui permet à la science sociologique d'avancer, en apprenant de nos erreurs, en ajoutant plus et plus encore à ce que nous savons déjà, même lorsque que nous découvrons, de plus en plus, le peu que nous savons.

Texte de Howard S. Becker

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